Ortolan : le bras de fer n’est pas terminé

Le feuilleton judiciaire se poursuit autour de l’ortolan. Entre « tolérance » et « quotas », les chasseurs acceptent mal de comparaître devant les tribunaux.

Une chose est sûre : cette saison, aucune chasse illégale n’a été constatée. Il n’y aura donc pas d’énièmes poursuites à l’encontre des chasseurs de bruant ortolan. Et c’est tant mieux ! Mais le feuilleton judiciaire n’est pas pour autant terminé. En décembre 2017, onze chasseurs ont comparu devant le tribunal correctionnel de Mont-de-Marsan, surpris en infraction, un an plus tôt. Ils encourent des amendes et seront fixés sur leur sort en avril prochain.

Les débats ont été passionnés et très riches car, une nouvelle fois, ont été évoquées les notions de « tolérance » et de « quotas ». Avec, pour le coup, un ancien préfet cité à la barre. Etienne Guyot, représentant de l’État dans les Landes entre 2007 et 2009, a reconnu publiquement « avoir entendu parler de quotas » même s’il a admis s’être borné « à faire respecter la loi en ayant en ligne de mire la nécessité de maintenir l’ordre public ».

Gilbert Tarozzi, qui collabora auprès de plusieurs préfets, a confirmé « avoir entendu parler de cela » avant, lui aussi, de s’appuyer « sur la stricte application de la loi ». L’ancien chef de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) a admis quant à lui « l’application d’un protocole de contrôle ». Cette « tolérance » a malgré tout donné lieu à des verbalisations de chasseurs ces dernières années. Surtout entre 2015 et 2016. « C’est pour cette raison que les chasseurs ne pouvaient pas méconnaître l’interdiction de pratiquer », répète l’avocat de la Ligue de protection des oiseaux, Me Ruffié. « Depuis des années, on leur dit : c’est interdit mais ils chassent sans qu’ils ne leur arrive jamais rien. Pouvaient-ils ignorer commettre une infraction ? Je dis non », réplique Me Frédéric Dutin, le conseil des chasseurs. « Les jugements des procédures de 2015 n’ont été rendus qu’en décembre 2016, après la période de chasse. Tant que la justice n’a pas dit si l’on peut chasser ou pas, on soutient et on continue à tendre les matoles ».

« C ’est notre ADN »
C’est ce qu’a fait Daniel Biremont, à Morcenx. Le chasseur utilisait 28 matoles et quatre appelants lorsqu’un matin d’août 2015, il a découvert ses installations entièrement saccagées, délibérément détruites. Il s’est immédiatement rendu à la gendarmerie pour y déposer une plainte mais celle-ci a été classée sans suites et c’est le chasseur qui s’est retrouvé poursuivi devant la justice pour « chasse à l’aide d’un instrument prohibé et utilisation d’espèce animale non domestique protégée ». Il a été condamné en première instance puis par la cour d’appel de Pau à une amende et à verser des dommages et intérêts à la LPO, partie civile. « C ’est difficile à admettre, je n’ai jamais été verbalisé », s’insurge Daniel Biremont qui a pratiqué pendant vingt-cinq ans la chasse à la matole. « C’est notre ADN », martèle le chasseur qui ne comprend toujours pas comment on a pu en arriver là. « En juillet 2015, lors de l’assemblée générale de l’association départementale des chasses traditionnelles, il avait été dit et confirmé par le sénateur Carrère, reprenant lui-même des informations délivrée par la préfète des Landes, que la chasse à l’ortolan pouvait se pratiquer en toute légalité. Il s’agissait d’une tolérance connue de tous ».

« L’État responsable »
Les magistrats ne l’entendent pas de la même oreille et s’appuient sur la réglementation. En clair, sur l’arrêté du 5 mars 1999 modifiant un arrêté précédent en date du 17 avril 1981, pris notamment en exécution de la directive du Conseil 79/409 du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages. Certes, des dérogations à cette interdiction peuvent être accordées par le préfet ou le ministre de l’Environnement, mais sous conditions. « Le fait que la tolérance n’est pas constitutive de droit, celle-ci ne peut être valablement opposée à une poursuite devant une juridiction correctionnelle que si elle résulte d’une disposition expresse de la loi », conclut la cour d’appel de Pau dans son arrêt rendu en octobre 2017. « La tolérance de l’autorité administrative ne pouvant constituer un droit, ni servir d’excuses à une infraction pénale (….) Aucune réponse favorable n’a, en tout état de cause, été été apportée par l’administration compétente, ce qui est bien de nature à en exclure l’existence puisque, en la matière, le silence observé par l’administration ne vaut pas acceptation », soulignent encore les magistrats. Pour la Fédération départementale des chasseurs des Landes, « c’est l’État qui est le seul responsable de tout ce qui arrive car il doit prendre les dérogations qui s’imposent », insiste le vice-président Jean-Luc Dufau. « La tolérance est un aveu de faiblesse de sa part, sauf que ce sont les braves gens qui paient l’addition alors que les casseurs ne sont pas poursuivis… Tout cela est une macabre mise en scène par des hauts responsables qui en connaissaient le dénouement. La directive 79/409 prévoit les dérogations à l’article 9, tout cela est précisé dans le guide interprétatif signé en 2008 par l’État français et l’Europe. Que la LPO ne le reconnaisse pas, c’est son problème, mais que l’État, qui en est le signataire ne l’applique pas, c’est incompréhensible ». Le bras de fer est loin d’être terminé.

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